Alliance Internationale de Journalistes
Qu'est ce que l'Alliance ?
 
 
Partager  
Evénement / Débat
Exercice du métier

La propriété des médias et son influence sur l’information 1/2

Rencontre des « Entretiens de l’Information », octobre 2005

par Nathalie Dollé

Ce texte n’est pas un article au sens journalistique du terme dans la mesure où il est nourri uniquement de mon background et de ma participation à la journée des « Entretiens de l’Information » organisée par L’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille le jeudi 13 octobre 2005 à la maison de Radio-France.

« Effectivement, la propriété des médias n’est pas neutre comme ne l’est pas non plus cette traditionnelle méfiance française vis à vis des mécanismes du marché et de l’argent prétendu corrupteur. La question de la propriété des médias est dans le fond, subsidiaire. » Patrick Eveno, historien des médias, Paris I.
Le souci « d’une presse aux ordres » revient comme une litanie depuis que la presse existe. Des journalistes ont donc toujours été attentifs à établir des rapports de force avec les propriétaires d’une part et le monde politique d’autre part. Les deux sphères se mélangent régulièrement mais l’inquiétude et la résistance ne sont pas nouvelles.
« Depuis le rachat du Figaro par Dassault l’an dernier, le quotidien a changé en bien. Dans le même temps « Libé » ne s’est pas amélioré depuis le refus que Rothschild intervienne dans la ligne éditoriale et malgré son apport de 20 millions d’ euros » Patrick Eveno.

Gestion des médias et lignes éditoriales

Les nouveaux propriétaires

Traditionnellement, la presse écrite en France appartenait à des familles, à des organisations de résistants (après la seconde guerre mondiale et sous différentes formes, toute la presse quotidienne régionale - qui avait collaboré - a été confiée à ces nouveaux actionnaires,) et puis à un groupe de presse ( la « socpresse » de Robert Hersant »)

A partir des années 80, en douceur, des groupes industriels (des marchands de béton, d’eau, d’armes…) ont « investi » dans les médias.
Il existe aujourd’hui une énorme emprise de « l’économie de groupes » sur l’ensemble de la presse, Emap, Bertelsman ou Prisma n’ont rien à envier à des mastodontes industriels. L’expression américaine « newspapers industry » annonce d’ailleurs très clairement un champs d’action économique. Attardons-nous quelques lignes sur cette presse américaine qui déteint sur la britannique et dont le modèle fait donc son entrée en Europe. « La concentration outre-atlantique est énorme : 80% de la presse, de la télévision et de la musique appartient aux 5 plus grands groupes. Mais à l’ horizontale s’ajoute la concentration verticale : c’est Murdoch qui possède la maison d’édition du livre qui sera adapté en film puis diffusé sur ses chaînes par satellites et dont sa presse fera la critique. » (Jean-Claude Sergeant est chercheur Paris IV)

Rappelons que la catégorie « médias » englobe beaucoup plus que les journaux, la radio, la télévision ou internet en associant des sociétés comme Walt-Disney, AOL ou Time-Warner…

Dans les années 90, de nombreux industriels américains ont misé sur ce secteur (comme la « General electric » qui s’est offert NBC tout en continuant à signer des contrats avec le Pentagone. ) Ils ont tendance à se désengager aujourd’hui (seul General Electric est restée) et le secteur de la communication cherche de nouvelles synergies (Murdoch va sans doute faire alliance avec Bill Gates)
Pour l’exemple, le Conseil d’Administration de la grande chaîne CBS est constitué d’un ancien secrétaire d’état à la défense, d’un représentant d’un laboratoire pharmaceutique, d’un représentant d’une grosse société d’assurance. Des annonceurs publicitaires potentiels et des acteurs puissants dans la société.

Si l’objectif est aussi de préparer le cerveau des spectateurs-consommateurs à acheter, il est pertinent de privilégier les « coups », « l’émotionnel », « l’affectif » en recherchant un consensus toujours facile. Développer l’esprit critique, aider au recul ou à la pensée par soi-même devient nettement contre-productif.

Les raisons capitalistes d’investir dans la presse relèvent en même temps de l’économique, du prestige mais aussi d’une volonté de « faire passer des idées. Un journal peut entre autre devenir une arme pour les grandes entreprises commerciales. « Nous ne devons pas sous-estimer l’influence des médias pour conclure des contrats ou décrocher des marchés financiers ou industriels. » Laurent Martin, historien Institut Européen de Marketing et de Communication : « Une presse qui devient un enjeu stratégique entraîne une grande discrétion entre journaux d’un même groupe, des zones d’ombre toujours plus importantes, de vrais points aveugles. »
Quand le « cartel » des médias sera véritablement installé, nous aurons des difficultés à avoir des informations sur un tas de domaines.

L’exemple de « la presse magazine »

Mais revenons en France en nous intéressant tout particulièrement à la « presse magazine » parce qu’elle a énormément évolué ces dernières années et qu’elle semble porteuse d’un récent « modèle industriel » voire purement financier.
Pour se débarrasser tout de suite du pire, voici « le cauchemar du « Taux d’ Utilisation des Journalistes » , génial indicateur mis au point par le cabinet de consultant AT Kearney pour calculer la productivité des journalistes « par mot publié » ! Verdict : 60 % « seulement » de taux d’utilisation pour les journalistes de « L’Usine nouvelle. » Sanction : la rédaction doit réduire la rédaction pour faire remonter son taux…
Nous sommes bien dans un débat sur la valeur économique de l’info. Certes. A d ’autres le débat sur « la valeur démocratique de l’info. »

Parce que cette « presse magazine » est très bénéficiaire, elle attire de nombreux fonds de pension très puissants. Ils réclament de 15 à 30 % de taux de rentabilité sur 2 à 5 ans, une pure logique d’encaissement et de turn-over des capitaux. Le rapport au temps de ces investisseurs c’est à dire le délai entre l’achat et la vente, est bien différent de celui d’un journal qui reste dans une économie d’essai, dans un temps de la stratégie. « Il n’y a plus de différence fondamentale, les capitaux, la production et la vente s’ harmonisent quelque soit le produit : informations, yaourts ou automobiles. » Olivier Schwarzbach, expert-consultant dans la presse magazine et audiovisuelle.

La presse magazine en France (à part ces deux ou trois dernières années) continue à progresser en diffusion et en publicité selon trois grandes tendances : la profusion de l’offre ( plus de 300 magazines sont créés tous les ans sur des niches de plus en plus réduites), la spécialisation qui se fait toujours plus pointue et un lectorat toujours plus segmenté en strates de consommateurs.
Jean-Marie Charon, sociologue des média au Centre d’Etudes des Mouvements Sociaux : « la tendance est à une rédaction permanente qui se rétrécit, un rédacteur en chef qui gère plusieurs titres avec un volant de pigistes. Il devient un animateur d’équipe, un « valorisateur de concept » et de moins en moins un journaliste. »

Comment la presse d’information générale se sortira-t-elle de ces influences ? Entre pessimisme et désespoir pour l’instant.

En tous cas les modes industriels et financiers s’imposent donc bien plus sur l’organisation de la production et la synergie des méthodes de travail que sur l’aspect éditorial proprement dit, malgré les gesticulations verbales d’un Dassault.

L’externalisation généralisée

Elle ne date pas d’aujourd’hui, depuis longtemps sont progressivement « externalisées » les imprimeries des journaux puis les régies publicitaires, les portefeuilles d’abonnement et maintenant la fabrication de pages entières…
Philippe Clerget, président de « Presse Pro » l’exprime clairement « Le rêve du patron de presse ? Un journal sans journaliste… »
La prophétie est largement partagée, la tendance à la sous-traitance va logiquement se développer et « tant mieux si la valeur de l’information en est augmentée. »
Yann Kerveno préside l’association « profession : pigistes » : « Aujourd’hui en France 20% des journalistes sont des pigistes, c’est l’avenir de la profession » et il défend l’existence de journalistes qui assument le choix de la pige. Surtout quand ils ont une « niche » où ils sont reconnus comme experts. A savoir si la « niche sur des sujets sociaux » peut avoir autant de succès.

Il semble que la créativité se trouve en dehors des équipes permanentes, simple constatation de Philippe Clerget : « Il faut aller chercher le dynamisme là où il se trouve… Ce mouvement d’ externalisation des compétences se retrouve partout où il y a création… Le sous-traitant parfait est donc un journaliste spécialisé. »
Mais Charon s’interroge : la spécialisation des pigistes peut aussi amener à la « simple communication, » et la fabrication de l’info peut devenir complètement opaque. Cette logique exclut également la prise en charge et en compte de la nécessité de formation, celle de se ressourcer…

Choisi, subi, intelligemment ou pas utilisé, ce modèle du pigiste reste multiple : « A France-télévision, les journaux sont produits par 30% de pigistes (Fernando Malverde, syndicat national des journalistes cgt de France 3) ils restent donc des « variables d’ajustement », une masse inépuisable dans laquelle on peut indéfiniment puiser. »
Il ne faut pas oublier qu’en 20 ans, le nombre de journalistes en France a doublé. En plus du « développement industriel » du secteur, l’apparition de nouveaux types de média (internet …) induit à la fois de nouveau contenus et à la fois de nouveaux modes d’organisation et de travail.
De véritables agences de pigistes vendent aujourd’hui des « produits finis » voire des pages entières. La culture de l’entreprise « journal » en prend un sacré coup et on ne peu pas ignorer les répercussions sur le fond d’un article produit par un journaliste qui est lié à un « client » par un « contrat commercial » et plus par « un contrat de travail. »

Date de publication 8 octobre 2005
Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | Mentions légales et crédits | Valid XHTML 1.0 Transitional