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Evénement / Débat
Exercice du métier

Conférence sur "Journalistes et blogs"

Premier événement des « Coulisses du blog », rencontre organisée par « Six appart » et « Nokia »

par Nathalie Dollé

S’il est difficile d’avoir une idée précise du nombre de blogs, les observateurs sont d’accord pour les estimer en cette fin d’année 2004 à environ 10 millions sur le net, dont plusieurs centaines de milliers en Chine et en Iran. Quelques très rares (5 ou 6) ont une audience énorme (600 000 visites par jour pendant les élections américaines pour « daily kos » par exemple).

La réunion a commencé par une tentative de comparatif entre le
« journaliste » et le « bloger » : l’un devant répondre à une autorité hiérarchique, suivre une ligne éditoriale, assumer une place dans une rédaction, soigner son travail d’écriture, soumettre ses écrits à un contrôle hiérarchique avant la diffusion… L’autre étant libre de ses propos et de ses engagements, plus libre dans la conception et la rédaction, subissant un contrôle a posteriori seulement de ses pairs et de son public…



Johan Hufnagel pour « Libération » (quotidien d’information générale) explique que son journal a été le premier à ouvrir un espace « blog » dans son édition électronique en février 2004. Les élections présidentielles aux Etats-Unis en sont le prétexte, les journalistes concernés sont les correspondants du quotidien à New-York et Washington.

La correspondante de Libération à Los Angeles avait déjà commencé à « bloger » en son nom propre et sans rapport direct avec une demande de la rédaction parisienne, mettant en scène sa vie journalistique.

Tous avaient un « feeling » particulier avec cet outil et l’avantage du décalage horaire pour les lecteurs européens.

Quelques mois plus tard, tous semblent reconnaître l’ « enrichissement » de cette expérience même si leurs blogs étaient tenus et menés avec des tons et des méthodes différentes. L’un davantage interactif, aux messages très courts sur « comment je travaille à l’étranger », l’autre davantage sur la subjectivité de son métier (et la certitude que Kerry allait l’emporter !), avec moins de liens et moins d‘images, plus « littéraire », comme un journal de bord à l’ancienne.

Les lecteurs sont très demandeurs de la poursuite des blogs, en réclamant de l’interactivité et de la subjectivité (qu’un journaliste dise « je »)

Libération maintient ce principe de blogs ponctuels et va en lancer sur l’éducation, le football, la Chine…



Pierre-Yves Lautrou travaille à « L’ Express » (hebdomadaire d’information générale) depuis 1998 et s’occupe des suppléments régionaux. La voile est sa passion, il a publié un livre sur la course du « vendée globe challenge » tout en trouvant que le traitement médiatique des courses est toujours le même et que s’il suffit au « grand public », il ne contente ni les amateurs éclairés ni les experts. Il a donc eu envie de raconter les « à-côté », les coulisses…
Son blog est donc né de l’envie de dépasser les contraintes.

Le premier avantage qu’il y voit ? Devenir son propre chef, ce qui signifie avant tout choisir librement les sujets qu’il veut traiter. Un journal, c’est quand même une hiérarchie nombreuse et pesante.

Le deuxième avantage ? La possibilité de se « lâcher ». Même si le logo de « l’express » est affiché en accueil, il est acquis que l’expression peut être différente, plus personnelle. Dire « je » n’est plus une hérésie.

Le troisième avantage ? La découverte du rapport aux lecteurs. Une nouveauté. Les gens rebondissent, réagissent, critiquent et sont même très exigeants quand ils lui demandent par exemple pour quoi il n’a pas blogé la veille… Dans le magazine, aucun lecteur ne s’inquiète quand il part un mois en vacances !

Accessoirement il a rencontré un vague début de notoriété personnelle, ce qui n’est jamais désagréable et qui ne m’était jamais arrivé !

Finalement tous les avantages que représentent le blog sont quelque part « contraires » à ce qui se passe dans un titre de presse écrite. Même s’il ne perd jamais conscience de la ligne éditoriale.



Stéphane Mazzorato travaille pour le site « lemonde.fr » qui a ouvert 8 blogs de journalistes et quelques-uns pour les abonnés du journal « le monde » (quotidien national généraliste). Ces derniers représentent une suite logique aux rapports privilégiés avec son journal qu’entend entretenir un public très impliqué.

Ces blogs sont lancés par des journalistes ou des invités sur des thématiques différentes. Ils présentent l’avantage d’une autonomie accrue, d’une liberté de ton encouragée et d’une rencontre directe avec les lecteurs.

Les blogs les plus anciens et les plus vivants provoquent 10 fois plus de commentaires que de notes (cf celui de Corinne Lesnes, correspondante à New-york). Un des avantages de l’outil réside encore dans la non-limitation du nombre des contributions.

Si la « collectivité » de la rédaction est perdue dans cet exercice, on y gagne une « collectivité » mouvante et qui demande beaucoup. Autonomie dit responsabilité et la moindre erreur est rapidement dénoncée, tout comme le moindre manquement au rendez-vous. Sur un blog il faut en effet prévenir si on s’arrête quelques jours !

En tous cas une culture est en train de naître, parfois dans la douleur si on prend l’exemple de Pierre Assouline. Le critique littéraire a été parfois fortement mis en question dans son blog, au point qu’il a fermé les commentaires… qui ont été réouverts sur la très forte demande du public.



Bertrand Pecquerie est le directeur du « World Editor Forum », branche de la « World Association of Newspaper. Il représente les rédacteurs en chef des grands journaux d’information à travers le monde et constate la véritable « idéologie du blog » qui se développe allègrement aux Etats-Unis. Il dénonce une vraie « machine de guerre militante » en train de construire et développer le mythe suivant : « les grands médias ont des intérêts particuliers, ils vous mentent ; les blogs sont libres et vous disent la vérité. »

Pourtant certains blogs américains très célèbres ont plus d’audience que des sites de journaux. Un individu pèserait ainsi davantage qu’ une rédaction de 300 ou 400 personnes. Les risques de manipulation ne peuvent pas être écartés. Il faut se méfier du principe même qui peut donner autant d’audience (au sens français comme anglais) à une seule personne. Le journalisme traditionnel possède quatre temps : la nouvelle brute qui tombe, suivie par le reportage ou l’investigation qui apporte l’analyse et enfin seulement le commentaire. Le blog passe de l’information au commentaire.

Il s’en prend à la « culture fragmentaire » et à « l’hyper individualisme » que développeraient les blogs en fonctionnant en circuit fermé quand les jeunes notamment « picorent » des informations en suivant des guides (agrégateurs) qui les amènent uniquement là ou leur intérêt personnel les porte.

La WAN respecte donc cette nouvelle forme mais s’en méfie dans le même temps.

Le blog peut être en même temps un outil d’accompagnement du journalisme : Quand la chaîne de télévision CBS à quelques jours des élections américaines met en cause les états de service d’un candidat en montrant un « document d’époque », la polémique est aussitôt lancée par blogs interposés : les caractères de police utilisés dans le rapport existaient-ils ou pas à l’époque en question ? C’est tout une dynamique d’intelligence collective qui se développe. CBS reconnaîtra très vite et publiquement son erreur.

Quand Dan Gillmore ( journaliste américain et auteur de « we, the media ») affirme que « nos lecteurs en savent plus que nous », la déclaration est très anti-journalistique. Les blogs et les journaux d’information ne sont donc certainement pas comparables. Encore une fois, il existe un certain nombre de blogs officiellement individuels qui sont les sous-marins de marques ou d’organisations. Il faut donc être prudents et en particulier attentifs à « l’avertorial » (avertising plus editorial).



Dominique Bosso parle pour « VNU », groupe de presse sur les nouvelles technologies présent dans 7 pays européens. Leur magazine en ligne a intégré naturellement des blogs de journalistes pour qu’ils puissent écrire des brèves et des clins d’œil en dehors de leur rythme mensuel de dossiers ou d’enquêtes. Une façon de fidéliser des lecteurs et de garder des journalistes sur la brèche. Là encore un texte de quelques lignes entraîne souvent 10 fois plus de commentaires, ce qui est accessoirement une façon de « tester » auprès du public l’intérêt pour un sujet ou pour un produit.



Chryde est son nom de bloger, celui de journaliste sur un fil d’info continue sur le net restera un secret de polichinelle. Il reprend l’idée d’un éditorial du journal « le monde » de cet été sur « tous journalistes » pour constater que nous n’avons aucun repère, aucun précédent auquel faire référence pour décrypter ce phénomène de blogs. A la fois enseignant à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille sur « journalisme et internet » et bloger aux multiples blogs, il jongle avec les deux casquettes en revenant sur le nombre d’intervenants qui « nettoient » une information quand on s’inquiète de sa véracité. Pour lui, les blogers finissent toujours par la vérifier, de rectifications en reprises de détails, de questionnements en précision, le nombre de maillons fait que la chaîne du blog est peu facilement manipulable. « Le rédacteur en chef, la hiérarchie, c’est la communauté » et l’information gagne en crédibilité au fil du travail d’échange et de validation. Il appelle joliment cette dynamique « l’agrégation vertueuse. »

Il faut reconnaître dans le même temps que les blogers « sortent » peu d’informations, raison pour laquelle il leur manque quelque chose pour arriver à la posture de journaliste. Le blog agit comme un filtre mais pas comme une source. « Parfois massue, parfois tremplin, le blog est en tous cas un poil à gratter. »

Restent à creuser les droits et les devoirs des blogers, le rapport aux sources, la responsabilité de la diffusion et leur manque de protection comparé aux journalistes. Va –t-il falloir trouver un statut particulier ?



Cyril Fiévet a sorti un ouvrage « Blog story, les 100 blogs qui comptent » en collaboration avec Emily Turrettini (éditions Eyrolles), il est également journaliste spécialisé en nouvelles technologies.

Les blogers sont plus libres que les journalistes dans la mesure où ils ne veulent pas être rémunérés.

Les weblogs développent un rôle de « vérificateur » et d’ « amplificateur ». Ce sont eux qui ont par exemple dénoncé les bidonnages d’un journaliste du « New-York Times ». Jason Blair a été obligé de démissionner après avoir causé un énorme scandale dans un journal dit de référence. Les blogs jouent ainsi le rôle d’aiguillon démocratique en se souciant de la qualité des médias. Ils accompagnent les transformations du métier de journaliste en le dynamisant. Nous devons travailler toujours plus vite, la vérification qui se faisait traditionnellement avant la publication est faite aujourd’hui a posteriori par une entité informelle mais vigilante.

Il ne faut donc pas opposer journalistes et blogers dans la mesure où ces derniers sont collectivement dépositaires d’une masse inépuisables d’informations. « Il est rassurant que la communauté en sache plus que moi et qu’elle me corrige ou enrichisse mes écrits. » Nous devons nous mettre à son écoute, moins d’arrogance et moins de monopole ne peut qu’être positif pour les journalistes… Les blogers ne peuvent pas nous remplacer, mais s’ils nous aident à être meilleurs…

Les blogs ont encore un très gros pouvoir collectif. On peut ainsi constater les « deuxièmes vies » des informations qui continuent à circuler dans la « blogosphère » après avoir disparu des journaux traditionnels.

Echange avec la salle :

Aucun média ne peut lutter avec le réseau et l’instantanéité des blogs, il faudra peut-être apprendre à travailler ensemble comme a commencé à le faire la BBC sur son site. Comment faire avec des infos qui ne proviennent pas de « journalistes » ?

Quid du modèle économique du blog ?

Il ne faut pas confondre « individualisme » et « communautaire », les blogers revendiquent leur appartenance à des communautés d’intérêts propres qui leurs paraissent plus légitimes que celles d’intérêts de grands groupes financiers ou industriels qui possèdent toujours plus de médias et qui avancent masqués.

Pourquoi ne pas aller plus loin dans le rapprochement entre « journalistes » et « public » en laissant les lecteurs réagir directement aux articles écrits dans le cadre général du site d’un média et pas seulement dans l’espace restreint du blog ?


Quelques blogs à consulter :

- www.loiclemeur.com (six appart)
- www.pointblog.com (Cyril Fiévet) à lire notamment sa sélection de blogs de journalistes…
- www.editorsweblog.org (Bertrand Pecquerie)
- www.chryde.net et ses réflexions sur le journalisme et les blogs
- http://journalism.nyu.edu/faculty/r... (Jay Rosen)
- http://weblog.siliconvalley.com/col... (Dan Gillmore)
- www.dailykos.com
- www.liberation.fr
- www.lemonde.fr

Date de publication 8 décembre 2004
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