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Article / Entretien
Exercice du métier

Mesure d’audience : du bon usage d’un outil

par Nathalie Dollé

Pendant une réunion de l’alliance internationale des journalistes à Rome, des confrères de la RAI (télévision publique italienne) nous prenaient à parti en dénonçant de façon très vigoureuse « la dictature de l’audience » : « Vous aussi travaillez pour une chaîne publique, subissez-vous en France ce couperet de l’audimat minute par minute ? » Je m’esclaffais sans réfléchir « Bien-sûr que non !... » Et puis je me suis rendue compte qu’en fait, je n’en savais rien…

Renseignement pris, l’audience à France-télévision est mesurée par le système « médiamat » qui depuis 1987 utilise des panels d’individus alors que « l’audimat » mesurait l’audience TV à partir des foyers et donc des familles. Le « médiamat » recueille les données seconde par seconde mais les restitue minute par minute et seulement le lendemain.
Ces informations très pointues sont évidemment confidentielles, l’ensemble des salariés pouvant consulter sur l’intranet des résultats plus larges (quart d’heure par quart d’heure.)

De manière générale en France, les « journalistes de base » de la télévision publique entendent peu parler d’audience et jamais en rapport avec un sujet particulier du journal. C’est la grosse différence avec nos collègues de la RAI dont la « qualité » du reportage est jugée au nombre de téléspectateurs qui les regarde.
Il n’existe pas en France, même dans les organisations critiques les plus radicales, de débat sur les mesures d’audience, leur nature et leur utilisation. Encore moins en ce qui concerne l’information.

En Italie, devant la gravité de la situation et pour préparer les élections législatives du printemps, toutes les instances de la société civile qui critiquent depuis des années ces mesures viennent de constituer une « table ronde de consultation permanente sur l’audimat. » Des membres d’associations de téléspectateurs et de consommateurs, des journalistes de la RAI et de chaînes locales, des statisticiens, des sociologues, des juristes, des psychologues y débattent avec des représentants politiques et de « l’autorité pour les communications ».

Tous réclament la fin du système existant qui « non seulement a produit des effets dévastateurs sur la production télévisuelle et sur le conditionnement des informations journalistiques mais également sur la vie socio-politico-culturelle du pays ». C’est la démocratie qui se retrouverait en danger.
De manière très concrète, l’encadrement journalistique de la RAI utilise les mesures d’audience pour éviter d’aborder les sujets sociaux par exemple, alors que l’horaire de leur diffusion peut simplement correspondre au début d’un programme très attrayant sur une autre chaîne... Sous prétexte d’audimat, les reportages qui montrent les difficultés quotidiennes sont ainsi devenus indésirables voire quasi-inexistants. En Italie, l’audimat est devenu un outil de pression pour justifier des choix éditoriaux de soutien sans faille à la politique de Sergio Berlusconi.

Nous sommes loin de cette situation en France.

Il est certain que la construction du panel ou le type d’informations recueillies ne sont jamais neutres. Et que toutes les deux proviennent directement de préoccupations publicitaires. Faut-il rappeler pour la petite histoire que c’est la publicité américaine qui dans les années 60 a imposé le présentateur unique (« anchor man ») pour le journal télévisé ? Il fallait que le spectateur soit « fidélisé », qu’il se sente « en confiance » avec toujours la même tête qui viendrait lui parler du monde tous les jours à la même heure… N’oublions pas que dans le même temps (1963), le général de Gaulle commandait de son côté un sondage auprès de 4000 téléspectateurs sur le vaste thème de la télévision. Il comprend très concrètement l’impact du nouveau média à ce moment-là.
Entre politique interventionniste et ambition de ce qui ne s’appelle pas encore le « marketing », la mesure d’audience n’a donc jamais été vraiment désintéressée ni destinée à améliorer la qualité d’un programme…

Aujourd’hui dans les rédactions des chaînes publiques françaises, on n’entend pourtant moins parler de chiffre et de décryptage que de « la concierge de Carpentras » ou de « ma grand-mère du Doubs » qui ne pourraient pas comprendre tel reportage ou qui se ficheraient de l’actualité à l’étranger. De l’artisanat pour certains, des fantasmes pour d’autres, des clichés ou encore du bon sens…
Bref, les rédacteurs en chef des journaux ont à leur disposition un outil toujours plus fin mais pas toujours plus pertinent. En France comme en Italie, l’audience est généralement mesurée en terme de quantité et pas de qualité. D’où le paradoxe maintes fois vécu : à la question « quelle est la chaîne la pire ? » Réponse : TF1 et à la suivante « quelle est la chaîne la plus regardée ? » encore TF1…

Les téléspectateurs ont à réagir sur des offres sana que leur propre demande ne soit prise en compte, même si France-télévision a créé un outil qui mesure le « degré de satisfaction » d’un panel de spectateurs. Chaque mois, un questionnaire assez détaillé est à remplir sur internet par des gens estimés représentatifs. Ces études concernent autant des programmes déjà diffusés que des projets (a partir de « pilotes » ou de synopsis développés.)
En discutant avec plusieurs responsables de journal ou de magazine, il ressort que l’audience donne un état de fait mais absolument pas une analyse : « On sait quand des gens sont partis mais qu’on ne sait pas pourquoi… Une baisse ne signifie pas exclusivement que l’offre est mauvaise mais par exemple qu’elle n’est pas à sa place à ce moment là... »
Il est encore de notoriété publique qu’un invité fait « fuir » les téléspectateurs d’un journal … Ce qui n’empêche pas d’avoir des invités régulièrement sur le plateau.
Qu’un service public s’intéresse aux réactions du public ne relève pas de l’aberration, au contraire. Reste à savoir si le public peut devenir « sujet » et plus seulement « objet », « citoyen » et pas seulement « consommateur ».
Le principe de mesure n’est pas condamnable en soi s’il respecte au moins ces deux règles :
- la pertinence de l’outil et de la méthode
- la transparence de l’usage qui va être fait des résultats.

Médiamétrie

L’entreprise « Médiamétrie » est née en 1985 dans une période de déréglementation et de libéralisation du paysage audiovisuel français : l’apparition des radios privées sur la bande FM, la privatisation d’Europe 1 et de la première chaîne, la création de Canal+, le lancement de la Cinq et de M6…
Les grandes radios, télévisions et agences de publicité en sont les actionnaires.

Médiamétrie qui a le monopole de ce travail en France a très rapidement élargi son champ de compétence vers d’autres média (cinéma, télévision sur le câble puis sur le satellite, internet, ...) et d’autres zones géographiques (Europe centrale et orientale...).

La mesure d’audience en direct

« Un dimanche soir du mois d’octobre 2005, dans "On ne peut pas plaire à tout le monde" en direct sur France 3 à 20H30, l’animateur vedette Marc Fogiel reçoit Mireille Mathieu. Il jette un coup d’oeil sur un petit moniteur placé sous la table et s’aperçoit que son audience s’effondre : il congédie aussitôt Mireille Mathieu et fait entrer sur le plateau l’actrice X Clara Morgane. Coup d’oeil au moniteur : l’audience a repris du poil de la bête.
Depuis quelques mois, deux fournisseurs d’accès à l’Internet, Free d’un côté et Neuf Cegetel associé à Médiamétrie de l’autre, mesurent en direct l’audience de la télé par ADSL. C’est une première. »
Extrait d’un article du quotidien « Libération ».

Février 2006

Date de publication 3 février 2006
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